Obésité : une prison psychologique autant que physique ?

Obésité : une prison psychologique autant que physique ?

L’obésité est souvent abordée sous un angle médical ou esthétique, réduite à une question de poids, de régimes et d’activité physique. Pourtant, elle est bien plus qu’un simple excès de graisse. Derrière les chiffres alarmants (60 % des adultes en surcharge pondérale d’ici 2050 selon The Lancet) se cache une souffrance psychique profonde, une prison invisible où le corps devient à la fois un bouclier et une cage.

 

Quand le corps absorbe les blessures de l’âme

En psychanalyse, le rapport au corps est souvent le reflet de conflits internes. L’obésité peut être interprétée comme une réponse inconsciente à une angoisse profonde. “J’ai souvent constaté que certains patients expriment, à travers leur prise de poids, un besoin de se protéger du monde, d’épaissir symboliquement leur carapace pour tenir les autres à distance”, explique Christian Richomme. “D’autres, à l’inverse, me disent que leur corps est leur manière d’exister, de prendre de la place dans un environnement où ils ont pu se sentir invisibles ou rejetés.”
Freud parlait de “pulsion orale”, cette tendance à combler un manque affectif par la nourriture. L’acte de manger devient alors une tentative de remplir un vide émotionnel, une réponse à des traumatismes enfouis. “Beaucoup de patients me confient ne pas manger par faim, mais pour calmer une tension intérieure, une angoisse, ou repousser un sentiment de solitude. Le geste de porter un aliment à la bouche devient un réflexe, un moyen immédiat de soulager une douleur qui, pourtant, ne disparaît jamais vraiment.”

 

Un cercle vicieux entre culpabilité et compulsion

Du point de vue des thérapies cognitives et comportementales (TCC), l’obésité s’accompagne souvent de schémas de pensée automatiques qui enferment la personne dans un cercle vicieux :

Restriction → frustration → compulsion → culpabilité

“J’observe très souvent ce phénomène chez mes patients : plus ils essaient de contrôler leur alimentation de manière stricte, plus ils développent des envies irrépressibles de manger. Cette lutte interne est épuisante et mène souvent à une perte de contrôle qui s’accompagne d’une immense culpabilité. Ils finissent par se punir encore plus, alimentant ainsi un cercle vicieux sans fin.”

L’effet du regard des autres

L’obésité est l’une des dernières discriminations socialement acceptées. Le regard extérieur (jugements, moqueries, stigmatisation) entraîne une baisse de l’estime de soi et un repli sur soi. “Certaines personnes en surpoids m’ont confié ne plus oser sortir, de peur d’être observées ou jugées. D’autres ont intériorisé ces critiques au point de se considérer elles-mêmes comme ‘faibles’ ou ‘sans volonté’, ce qui est totalement faux. Cette pression sociale constante peut même activer des mécanismes hormonaux favorisant la prise de poids, comme l’élévation du cortisol liée au stress.”

 

Sortir de la prison mentale : une approche psychologique et émotionnelle

Si la prise en charge médicale et diététique est essentielle, elle est insuffisante sans un travail psychologique de fond. Pour sortir de cette prison mentale, plusieurs axes peuvent être explorés :
1. Travailler sur l’origine émotionnelle de la prise de poids
“Lors des consultations, je prends toujours le temps d’explorer avec mes patients leur histoire personnelle et leurs blessures passées. L’objectif est de comprendre quelles émotions sont étouffées par la nourriture.”
2. Réapprendre à écouter ses sensations de faim et de satiété
“Manger devrait être un acte de plaisir et d’écoute du corps, et non une réponse automatique à une émotion négative. J’aide mes patients à sortir du schéma restriction-compulsion en réapprenant à distinguer la vraie faim des envies émotionnelles.”
3. Transformer son dialogue intérieur
“Je travaille beaucoup avec eux sur leur discours interne : comment parlent-ils à eux-mêmes après un écart alimentaire ? Remplacer les pensées auto-sabotantes par des pensées plus bienveillantes est une étape essentielle du changement.”
4. Travailler sur l’image de soi et l’acceptation
“Je dis souvent à mes patients que la perte de poids durable passe avant tout par une réconciliation avec leur propre corps. Tant qu’ils se perçoivent comme un ennemi, le combat sera inégal.”

L’obésité ne se résume donc pas à une question de volonté ou de discipline. Elle est le symptôme visible d’un mal-être plus profond, nécessitant une approche globale qui intègre le corps et l’esprit. “Changer son rapport à la nourriture, c’est souvent réapprendre à s’aimer”, conclut Christian Richomme.

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